ARN interférent

L'expression ARN interférent sert à désigner un acide ribonucléique simple ou double brin, qui interfère avec un ARN messager spécifique conduisant à sa dégradation ainsi qu'à la diminution de sa traduction en protéine.



Catégories :

Expression génétique - Génétique - Biologie cellulaire

Protéine DICER

L'expression ARN interférent sert à désigner un acide ribonucléique simple ou double brin, qui interfère avec un ARN messager spécifique conduisant à sa dégradation ainsi qu'à la diminution de sa traduction en protéine.

Historique

L'interférence ARN a été découverte fortuitement : en 1990, Jorgensen et ses collaborateurs tentaient de renforcer la couleur pourpre de pétunias en introduisant un vecteur codant un pigment dans cette plante. De façon étonnante, certains pétunias devenaient partiellement ou complètement blancs, le gène introduit éteignant le gène naturel. En 1994, Wassenegger[1] montra que l'introduction d'ARN double brin dans des cellules d'Arabidopsis thaliana déclenche une méthylation de l'ADN correspondant. Ce mécanisme a été originellement nommé "transcriptional gene silencing" ou TGS.

En 1998, Andrew Z. Fire et Craig C. Mello ont montré qu'on pouvait diminuer particulièrement l'expression de protéines contenues dans des cellules du nématode Cænorhabditis elegans, en introduisant de l'ARN double brin dans celles-ci. Ce phénomène fut alors appelé ARN interférence. L'ARN interférent se lie particulièrement avec l'ARN messager (ARNm) cible, conduisant à la dégradation de ce dernier et par conséquent à l'inhibition de l'expression de la protéine correspondante. Ces deux chercheurs ont reçu le 2 octobre 2006 le prix Nobel de physiologie et de médecine pour leurs travaux.

Ce mécanisme d'ARN interférence, qui a certainement été choisi au cours de l'évolution comme un moyen de protection contre l'introduction de génomes étrangers, surtout viraux, a été particulièrement utile pour comprendre la fonction de certains gènes chez le nématode C. elegans ou d'autres organismes : en observant le phénotype résultant de l'interférence on peut en déduire la fonction du gène. Cependant jusqu'en 2001, il était impossible d'utiliser cette approche dans les cellules de mammifères. En effet, les Mammifères ont développé une réponse antivirale spécifique : la présence d'ARN doubles brins de grande taille induit l'activation de la voie interféron qui aboutit à la dégradation des ARN cellulaires, quelle que soit leur séquence. Cette dégradation conduit à la mort de la cellule infectée. Les tentatives effectuées pour utiliser l'ARN interférence comme on le faisait chez les nématodes conduisaient donc à cette mort cellulaire sans aucune spécificité.

Cependant, en 2001, Thomas Tuschl, alors chercheur post-doctoral chez Philip A. Sharp, eut une idée remarquable : quand on introduit des ARN double brins longs chez C. elegans, on observe que des petits ARN doubles brins courts, de 21 à 25 paires de bases sont générés. On sait à présent que c'est la protéine éminceuse "Dicer" qui génère ces "small interfering RNA" ou siRNA. L'idée de Tuschl fut d'introduire directement les siRNA dans les cellules de mammifères. Cette manipulation provoqua l'interférence ARN sans déclencher la réponse interféron non spécifique.

Principe

Les fantastiques perspectives ouvertes par ces travaux ont conduit de très nombreux laboratoires à étudier ce mécanisme. On en a désormais élucidé le principe général. Les ARN double brins présents dans une cellule sont dans un premier temps pris en charge par une ribonucléase de type III nommée Dicer, l'«éminceuse». Celle-ci clive l'ARN double brin l'ensemble des 21 à 25 paires de bases. Dicer transfère alors les siRNA à un gros complexe multiprotéique, le complexe RISC (RNA-Induced Silencing Complex). Un des brins du siRNA, dit passager, est éliminé alors que l'autre (appelé «guide») dirige le complexe RISC vers les ARNm possédant une séquence complémentaire au brin guide. Si la complémentarité entre le siRNA et l'ARNm cible est idéale, le complexe RISC clive l'ARNm cible qui est alors dégradé et n'est par conséquent plus traduit en protéine. Quelques bases non complémentaires suffisent pour empêcher le clivage. Ce mécanisme est par conséquent particulièrement spécifique de la séquence du siRNA et de sa cible, l'ARNm. Occasionnellemen, on peut choisir un siRNA capable de cliver un ARNm porteur d'une mutation ponctuelle sans affecter l'ARNm sauvage.

Applications

En 2006, plus de 14000 articles scientifiques faisaient référence à cette technique d'interférence ARN, montrant l'extraordinaire intérêt que les chercheurs lui portent. L'utilisation de siRNA pour étudier la fonction d'un gène chez les mammifères est devenue en particulièrement peu d'années une technique de base, utilisée par des biologistes de toutes disciplines.

Depuis plusieurs années d'autres techniques conçues pour inhiber l'expression d'un gène avaient été mises au point. Les plus connues utilisent des antisens, des ribozymes, des aptamères, des oligonucléotides antisens. Comparé à toutes ces techniques, l'ARN interférence s'est révélée tout à la fois plus efficace et bien plus souple au niveau du choix de la séquence cible et techniquement simple à mettre en œuvre au laboratoire ce qui explique sa particulièrement grande popularité. De nombreux gènes sont surexprimés ou exprimés au mauvais lieu ou au mauvais moment dans de nombreuses pathologies. La possibilité de pouvoir inhiber ces expressions pathologiques est un espoir important pour soigner ces nombreuses maladies, au premier rang desquelles on trouve les cancers. Il est remarquable de voir que moins de cinq ans après l'article de Tuschl et coll. des essais cliniques sont déjà en cours chez l'Homme pour traiter des pathologies oculaires (dégénérescence maculaire liée à l'âge) et certaines pathologies virales (virus syncitial respiratoire). Ces essais n'ont pour l'instant révélé aucune toxicité spécifique et ont montré une bonne efficacité ce qui est encourageant mais doit être confirmé par des essais à plus grande échelle.

Perspectives

L'ARN interférence permet d'étudier la fonction des gènes, ouvre des perspectives thérapeutiques importantes et a qui plus est ouvert un immense champ de recherche sur les petits ARN dits non-codants. On sait actuellement que 2% uniquement de notre ADN est codant, c'est-à-dire qu'il contient les informations servant à déterminer l'ordre des acides aminés dans une protéine. On connaissait la fonction de certaines régions non codantes de l'ADN comme les télomères aux extrémités des chromosomes, les centromères et les séquences servant à réguler la transcription du gène (promoteur et enhancers). Les techniques utilisées pour identifier les ARN transcrits à partir de l'ADN avaient volontairement éliminé les petits ARN reconnus comme des produits de dégradation ou des éléments peu intéressants. Cette vision de l'organisation de notre génome est en train de changer profondément.

L'identification des siRNA, produits de clivage d'ARN plus longs par Dicer, a permis de montrer que la machinerie de l'interférence ARN est présente dans toutes nos cellules et qu'elle permet de réguler particulièrement finement l'expression de notre génome. Les effecteurs naturels sont des petits ARN de structure voisine des siRNA qui ont été nommés micro-ARN ou miRNA. Ces miRNA, qui font une vingtaine de nucléotides, sont transcrits à partir de notre ADN, pris en charge par la machinerie siRNA et reconnaissent des ARN messagers cellulaires dont ils inhibent l'expression. Le mécanisme d'inhibition peut être soit dû à un clivage de l'ARNm, comme dans le cas des siRNA, ou à un blocage de la traduction des ARNm en protéines. Plus de 400 miRNA, de séquences différentes, ont été identifiés fin 2006 et on considère qu'ils régulent certainement plus de 10% des gènes. Un ARNm peut lier plusieurs miRNA et réciproquement un miRNA peut se lier à différents ARNm.

L'histoire récente des ARN interférents montre à quel point il est impossible de prévoir le cheminement des découvertes et de programmer la recherche. L'observation faite sur les Pétunias a conduit en particulièrement peu de temps à la mise à jour de mécanismes extrêmement fondamentaux du contrôle de l'expression génique, si fondamentaux qu'ils ont été conservés depuis les Plantes jusqu'aux aux Nématodes, à la Drosophile ainsi qu'aux Mammifères. Cette découverte fortuite a permis de développer les siRNA, puissants outils pour disséquer la fonction des gènes, et pour demain en corriger l'expression pathologique. De nombreux chercheurs s'accordent à dire que l'ARN interférence est l'outil qui révolutionne la pratique du chercheur tout comme la réaction de polymérisation en chaîne ou PCR a révolutionné en son temps l'étude de l'ADN.

Liens externes

Références

  1. M. Wassenegger, S. Heimes, L. Riedel, H. L. Sanger. 1994. RNA-directed de novo methylation of genomic sequences in plants. Cell ; 76 (3)  : 567-76



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"l'ARN interférent au cœur"

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